Transapparences

1° L'Esprit de Lumiere

   La pensée est une fleur. Son suc magique engendre des visions d’où sont issus des êtres d’écriture. Je suis de ceux-là, sans forme ni parole, qu’une jolie tête blonde penchée sur un cahier créa, un jour, toute au jeu des songes et des apparences.
   Mon cher William, écrivit-elle (j’avais une référence, et non des moindre), et je répondis aussitôt, avec ce style dont je fus doté, sage et longiligne, à peine contraint. D’être imaginé est tout une affaire, il faut à la fois faire dans l’improvisation et la constance, et se garder de trop d’indépendance. Mais ce jeune esprit qui m’inventa avait de la grâce. Elle ne me fit pas parfait, avec juste assez de caprice pour me permettre de m’échapper parfois hors de son univers, pour respirer, comme elle l’aimait aussi sans doute, d’autres effluves, d’autres vies.
    Car si mon verbe était muet et seul transcrit, j’avais un souffle. Ce souffle qui se promène sur la joue des rêveurs, se mêle aux brises et aux gouttes de pluie, se fait l’écho des voix dans le jardin. Je pus ainsi voyager au-delà de mes limites de papier,et lui narrer, en guise de présent, mes aventures d’émancipé. Je savais bien des choses, que cette enfant suggérait du bout de sa plume à tête d’oiseau, et que nous élaborions à la pointe de ce bec  finement chargé d’encre.  Des jungles aux déserts, des Iles du Levant aux glaces de Laponie, la couleur de William était sépia, comme ces photos d’explorateurs intemporels, leur veste chargée de poussière ou de givre, comme cette eau d’aquarelle de dessins naturalistes.

2° Conversations Sous un Tilleul

   La pensée est une fleur secrête. Je pense à toi, William, en me remémorant ces mots qui avaient germé de notre esprit conjoint. On écrit tant de choses qui un jour découvrent toute leur lumière. Je n’ai pas passé un instant de ma vie qui ne soit, clairement ou confusément, le rappel lointain de ce germe d’esprit, comme une plante qui pousse, se développe
naturellement, évolue selon un code défini et s’allie toute circonstance pour favoriser cette croissance. Le secret est dans cette pensée latente, cette sève cachée mais puissante qui détermine notre vie. Il me fallait bien t’inventer, pour que nous nous inventions, pour être tout simplement, pour te rencontrer et me rencontrer moi-même indéfiniment. Jeux de miroirs et merveilles, puisque la vie est un songe, et la vie seule, sans le
songe, un rêve de plus. Je t’ai inventé, William, pour transcrire ce songe, pour relier rêve et ce qu’on croit réalité, je t’ai même donné une écriture à toi pour que nos plumes s’harmonisent comme deux mains sur un instrument, pour que la musique des mots soit image aussi, et enfin pour que tout s’accomplisse. C’est-à-dire moi, germe parmi les autres, secret parmi les autres.
        Damien savait tout cela, mais Damien était aussi enfermé dans son propre secret. Chaque plante a sa vie propre et je pensais encore à cela sous le tilleul où nous devisions. Mon regard se perdait dans la ramure de l’arbre, arabesques pointillées de lumière et de grains de ciel bleu, mon esprit flottait, léger, dans cette luxuriance et au-delà. Nos voix bourdonnaient en sourdine comme les abeilles au milieu des fleurs, et nos paroles étaient  comme ces  pollens recueillis pour un miel subtil et odorant.

3° Les Voix dans le Vent

  
        My heart beats too fast. My heart beats too fast. Airelle entendait ces mots dans sa poitrine, battre et rebattre comme des ailes claquant l’air. My heart beats too fast. Ils sont trop ces mots, il est fort, ce tempo, ils donnent le vertige, sans bouger de place, la vue aspirée par le haut, par le bas, par le haut. J’ai rêvé l’autre nuit, qu’ai-je rêvé. Et parce que les battements étaient si forts, si résonnant, le rêve s’en trouvait martelé, anéanti. Mais c’était encore comme rêver. Une vague, un tourbillon -un naufrage ? Par la fenêtre, la mer était si proche, au-delà des collines, par le
bas...  Brume bleue, îles encore. J’attends le vent, se dit Airelle.
My heart beats too fast.


        Je t’entends bien, dans l’eau noire et glacée, répéter, c’est fou, c’est absurde, et je sens ton corps se raidir, refroidir peu à peu. La vague sombre comme ta chair pâle, et bleuie. Tu te débats, tu
t’abandonnes. Tu me dis : tu fus toujours là. Et je suis là, comme toujours, entre deux courants, deux rêves, sirène évanouie sur les chevaux de mer. Des bassins miroirs à la grande bleue, j’ai plongé dans la lumière. Il suffisait d’un pas, d’un jet, d’un décalage, d’une superposition. Ramage de l’écume blanche, ramure des algues noires. Je touche ta main si raide, si froide, et je te dis : je vis.
Oui, oui, me réponds-tu, tu vis, et je vis aussi.
                                                   

            C’est la mer allée avec le soleil.

La Légende des Iles

1° L'Arbre

         

 

 

         D'entre les eaux profondes, des brumes disparates, émergea le sage des temps à venir, l'enfant à la longue mémoire.

 

          Ses doigts irriguèrent l'affluence des cours et ses mains pétrirent la terre découverte, les formes de sa mère, l'origine de son assise.

 

          Car son esprit s'éveillait au goût de la procréation, au pouvoir du germe.

 

          La Terre sa mère, bien long d'être entr'ouverte par le flot, avait brassé cieux et mondes de ses bras langoureux. Sa peau portait encore toutes les graines de l'univers, de ses pores s'effilochaient des filaments de gènes, des traînées d'étoiles.

 

          Le sage à la suave mémoire, aux mains délicates, recueillit chaque graine, chaque filament, chaque éclat d'étoile. Il ensemença la terre apparue, féconde d'être entrevue par l'esprit du germe.

 

         Mais le jour était nuit et la nuit était jour.

         Dans le ciel nul astre qui réchauffât la terre, qui fit lever la graine.

2° L'Oiseau

         

 

 

          Sur les hauts plateaux vit l'oiseau de l'air, chéri des dieux et maître des courants.

 

           Son envol est sûr et son envergure puissante.

           Aucun de ses semblables ne le défierait, ils sont tous ses enfants, la menue image de leur paternité, émule duveteuse de la penne céleste.

 

           Il trace pour eux l'histoire présente et les distances infinies, l'arche des couleurs de l'eau à la terre et de la terre au ciel, les reflets moirés de la lumière.

 

           Nul menace en ces contrées luxuriantes où seul le vent agite les forêts, la brise effleure les lacs.

           La faune des terres et des eaux ne connaît que sa mesure.

           L'oiseau de vie les protège, il est l'ange des dieux.

 

          De l'aire choisie il domine le monde, il scrute le cercle de l'horizon.

          Car l'ange a le démon du savoir.

3° L'Île

         

 

 

          En ces temps où il n'y avait pas de temps, jouait dans le jardin de son père la belle enfant aux longues tresses, aux rubans de soie, la vierge douce qui parlait aux oiseaux.

 

          Elle jouait du matin au soir dans les champs jaunes et bleus, au coeur des forêts denses, au bord du lac tranquille parsemé d'îles nébuleuses.

 

          Le lac connaissait bien la belle enfant aux longues tresses, la vierge douce et agile.

          Ils devisaient souvent du temps et se confiaient des secrets inouïs.

 

          Seuls les oiseaux entendaient ces confidences. C'était un chant subtil qui s'élevait au-delà des forêts denses, s'échappait des champs jaunes et bleus, et protégeait le jardin.

 

          Le vol d'un oiseau et comme éphémère, son chant déjà enfui quand l'oreille s'y prête. Le vieux sage savait toutes ces choses avant même de rencontrer la douce enfant, la vierge aux longues tresses.

4° LE Chasseur

         

 

 

          Qu'il est beau le chasseur, l'aventurier à la longue chevelure, sur son coursier rapide comme le vent.

 

          Que ses mains sont sûres, sur son arc tendu, et précis son tir, son oeil perçant toutes proies entre les feuillages.

 

           Qu'il est fort, l'homme léger et habile, craint de tous les autres hommes qui n'égalent pas sont talent.

            Les femmes l'aiment et soupirent après ses charmes. Il chasse la biche éplorée comme il chasse les coeurs émus.

            Point d'enfant qui le taquine.

            Ils l'admirent tous sans partage.

            Il est le héros des contrées habitées.

 

            Il peut tout chasser. L'ours puissant, comme le chevreuil agile, et l'aigle royal à qui il dérobe le lièvre furtif.

             Ses flèches fendent même l'eau bouillonnante des torrents. Aucun brochet, aucun saumon n'échappent a la vigueur de ses traits.

 

            Ses aventures le mènent si loin, qu'il parcours les terres les plus éloignées, de par les marécages, au bout de l'horizon.

Blue Pen

Another day in paradise

         

      

      A bright dawn. I sense it through my eyelids, the night wind always cleans the sky cristal clear. The cats are gone, already. I can stretch all over the bed. I wait till the sun rises, then I open my eyes, dazzled by the golden light.

      Every morning is the last morning. I had that dream again. This vast and empty space over the top floor of the house. Enlighted by two windows, North and South, but the views are reversed as if the house had revolved on its axle. A scene so precise, I could draw it, still I never did. Should I finally?

       I get up and make some coffee, to sip it back in bed. Another quiet moment, in front of my window framing the valley, the mountains and the sky, like a painting of Maxfield Parrish. This somptuous blue haze. Everytime I am haunted by that dream, most part of the day. A forthcoming remembrance, in another sense. Today will be so, while I’ll potter round the house and garden, wondering if I should sit at my drawing table and set to my projects long delayed.

        Tilleul, my favourite and only daughter, is away for some time. She is gone to the world, afar like the mountains. Around a waiting silence, without her music and singing.

         The season is young, no guests yet in the rooms ready to welcome them. When I opened this old and huge house to guests, it was for he bills. Now it is for more than that : the inspiring notes on the visitors books - These stairs seem to rise this cosy little nest nearer to heaven, nearer to paradise... From spring to pools, water slowly flows like time, a bless in this day and age...

 

En Deux Temps

Le troisieme c'est le mouvement

         

         

 

« Je rêvais de te rencontrer devant un tableau.
   Dans lequel nous serions entrés, pour un nouveau décor à notre histoire.
   Ce ne serait pas un Vélasquez, un Picasso ni même un Renoir, ce serait une oeuvre à nous deux, ombre et lumière. Ma robe blanche pleine decouleurs et tes lunettes noires éblouissantes.
    Ton intense désir mêlé à ma passionnelle immobilité.
    Refaire la vie, les couleurs, le noir et le blanc, et le mouvement.
    Refaire l’histoire, les histoires, réécrire le temps, repeindre les murs, décrocher les tentures, voiles, voiles.
    Je rêvais de t’aimer comme au premier soir et au premier jour, tacherouge sur fond vert.
    Mais la vie, l’histoire, le temps en ont décidé autrement »
                             

                                                  (Les carnets de la vie)